Petite cause, grands effets

La trahison n'a rien de nouveau en politique, et les politiciens britanniques du XIXe siècle n'étaient pas en reste et il aurait pu devenir un sport national. En 1809, un tel acte eut lieu entre deux ministres britanniques et cela s'est retourné contre l'un d'eux lorsque ce dernier, au dernier moment, s'est littéralement retourné.

Le premier duelliste, Robert Stewart alias Lord Castlereagh en qualité de ministre de la guerre avait fort à faire dans la guerre contre Napoléon. George Canning, l'opposant, était quant à lui ministre des Affaires Étrangères et était tout aussi stressé par la situation en Europe. Canning voyait Castlereagh comme une entrave à son travail et à ses aspirations. Il a alors écrit une lettre au Premier ministre menaçant de démissionner si Castlereagh n'était pas destituer. Mais celle-ci est tombé dans les mains de Castlereagh qui, estimant que son honneur avait été souillé, défia Canning en duel, méthode classique à l'époque pour laver un affront. Canning accepta directement la confrontation tout en veillant à d'abord rédiger son testament et à écrire une dernière lettre à sa femme si le sort des armes venait à le desservir.

La rencontre a lieu sur la lande de Putney à Londres, près de Wimbledon, à l'aube du 21 septembre 1809. Castlereagh avait une certaine expérience du duel, ce qui a peut-être expliqué son attitude calme fredonnant des airs populaires contemporains tout en prenant position. Canning, qui n'avait jamais tiré avec une arme à feu de sa vie, aurait également été calme sans doute pour se donner du courage.

Les premiers tirs manquent leur cible, mais Castlereagh exige un deuxième tour devant le refus de Canning de s'excuser. Canning réussit à atteindre Castlereagh, mais sa balle est déviée par un bouton du manteau de son adversaire alors que Castlereagh blesse son adversaire à la cuisse ou selon la légende populaire à la fesse. Le premier sang avait alors amené à une égalité entre les deux hommes.

Le roi et de hauts dignitaires du gouvernement étaient furieux que deux secrétaires d'État aient enfreint les lois qu'ils ont juré de respecter. Le problème c'est que Canning était à l'époque pressenti pour devenir premier ministre, mais l'information avait commencé à tourner et forcément tout le monde se moquait de lui. Au final, Canning et Castlereagh démissionnèrent en octobre de la même année et c'est seulement 18 ans après le duel, en 1827, que Canning avait finalement obtenu son poste tant espéré. Ce fut toutefois de courte durée car ce dernier mourut quatre mois après, ce qui demeure à ce jour le plus court mandat de toute l'histoire britannique.

Ne pouvant présager de ce qu'il aurait fait s'il avait été premier ministre en 1809, les historiens s'accordent à dire que son mandat de quatre mois a posé les bases du parti libéral et qu'il a eu une influence assez importante.

De son côté, Lord Castlereagh, partisan de la fermeté pendant la crise économique qui secoue la Grande-Bretagne après la période napoléonienne devient très impopulaire. Atteint de paranoïa, il se suicide le 12 août 1822 en se tranchant la gorge avec un coupe-papier. Son neveu, le vice-amiral Robert Fitzroy, pensait que le trouble qui avait emporté son oncle était peut-être héréditaire. Capitaine du célèbre HMS Beagle, chargé de missions hydrographiques et cartographiques en Terre de Feu, il allait justement partir en croisière et ne voulant pas se retrouver seul avec ses pensées sur le bateau il avait proposé à plusieurs scientifiques dont Charles Darwin de l'accompagner et c'est précisément pendant ce voyage que Darwin avait commencé à travailler sur sa théorie de l'évolution.

Comme quoi une balle dans le séant a changé l'avenir de la Grande-Bretagne, l'effet papillon.